Blasee des chanteuses a toutes les propos sombres et depressifs ?
d’une drague conquerante aux odes masturbatoires, des invitations explicites a toutes les declarations erotiques, voici seize chansons qui celebrent le sexe, la jouissance et le desir a J’ai premiere personne et au feminin.
Apres bien un hiver a fredonner nos noires melopees de nos nouvelles chanteuses preferees, on tournait legerement en boucle via la fond, la solitude et l’angoisse. Entre Fishbach (« Comment allez-vous ? Toujours aussi mal, je l’avoue »), Notre Feline (« le quotidien t’abandonne ») ou Clara Lucciani (« Dis-moi pourquoi je sombre dans des ombres »), les filles une nouvelle vague semblaient naviguer dans des eaux mysterieuses et glacees. En outre, changement radical de registre avec ce titre de Juliette Armanet : Je te sens venir en moi. Saluee pour le premier album, Petite Amie – certes lui aussi plutot melancolique –, la chanteuse se fait remarquer pour cette adaptation du tube I feel it coming, de The Weeknd.
Les basses electro-dansantes laissent place a un piano leger et nos paroles anglaises assez fades deviennent une declaration explicite : « C’est peut-etre un brin direct, mais voila je voudrais faire l’amour, l’amour avec toi… Je te sens venir en moi », susurre Armanet dans une telle interpretation tres personnelle. Et au fond, feministe.
Car si depuis des lustres la chanson francaise ne cesse de celebrer les relations amoureuses, nos hommes y tiennent habituellement le beau role : ils desirent, courtisent, seduisent, rejettent.
Quand les femmes chantent l’amour, elles attendent plutot le prince charmant, se rejouissent d’avoir ete choisies, souffrent des infidelites de leurs amants, ou encore pleurent d’avoir ete abandonnees… Il semble beaucoup plus rare, en chanson comme en autres arts, qu’elles expriment leur desir et un joie ainsi que les hommes seront encourages a le Realiser : explicitement, a la toute premiere personne, sans honte ni detours. En tant que sujets libres, et nullement qu’objets passifs.
Aujourd’hui, Juliette Armanet reste donc occupe a se distinguer : elle s’inscrit dans la lignee des quelques artistes qui, de Juliette Greco a toutes les Rita Mitsouko, ont ose assumer une sexualite joyeuse.
Notre plus celebre exemple de votre tradition ? Les Nuits d’une demoiselle, un bijou de poesie erotico-drolatique, qui fera scandale en 1963. Colette Renard y enumere avec delectation d’improbables synonymes du verbe baiser au feminin : « J’me fais laminer l’ecrevisse, briquer le casse-noisettes, farcir la mottelette, picorer le bonbon… »
En 2014, Jeanne Cherhal reinterprete une telle chanson, facon 2.0 : concernant scene, elle entonne qu’elle se « fera bugger la machine, exporter le point com, demonter le travail, appuyer la pointe pomme, exploser le reseau ». Images evocatrices et fantaisistes qui provoquent l’hilarite elite singles application de son public. J’ai aussi annee, dans Cheval de feu, Jeanne Cherhal i chaque fois s’amuse a raconter une scene de sexe : « Viens par ici, viens fouiller le buisson beau, viens lustrer les galets polis, viens gouter la figue a la creme. » Transparent.
Deux annees plus tard, c’est Olivia Ruiz qui construit un album entier autour des joies sexuelles (A nos corps aimants, 2016). Plus potache, Anais et le Cheap Show avait connu le succes des 2005 en flirtant avec la parodie : « Je fremis, je petille comme 1 gin fizz, c’est fou tel tu me fais de l’effet… Bebe baise-moi ! Si j’etais une chatte, je ronronnerai, si j’etais une latte je craquerai, si j’etais une blatte… » (rires du public).
Depuis le tournant du siecle, on voit donc beaucoup une tendance nette, a defaut d’etre une deferlante : les femmes chantent le bonheur, un plaisir, et n’hesitent plus a l’ecrire elles-memes. Auparavant, il faudra beaucoup reconnaitre que c’etait souvent ces messieurs qui prenaient la plume a leur place.
Un certain Robert Nyel, entre autres. Auteur, plus ou moins oublie d’une chanson devenue classique : Deshabillez-moi. Di?s que Juliette Greco l’interprete, en 1967, aucune nouvelle chanteuse n’en a voulu… Mais le texte amuse Greco au plus haut point : 1 petit manuel d’erotisme ! « Dirigez bien ces gestes, ni trop lents, ni trop lestes, sur ma peau… Voila, ca l’fait, j’suis fremissante et offerte ; de votre main experte, allez-y. » Les radios hesiteront des mois avant de diffuser la chanson… qui deviendra pourtant l’un des grands tubes de l’ete 1968.
L’annee suivante, ce paraissent les gemissements explicites de Jane Birkin qui leur donnent des sueurs froides : en 1969, Je t’aime moi non plus reste souvent diffuse en version muette ! Neanmoins, beaucoup qu’elle partage la vedette avec l’auteur du post, Serge Gainsbourg, l’interpretation de Jane Birkin est sans equivoque : i§a cause de penetration sexuelle, et a la toute premiere personne (« Tu es la vague, moi l’ile nue, tu vas et tu viens entre mes reins »…) A noter : dans ce dialogue-la, elle reste la seule a dire « je t’aime ».
Et ainsi, peu a peu, la chanson francaise donne-t-elle a entendre des jeunes femmes sures d’elles-memes, qui connaissent leur propre corps et ceux de leur amants. Franchement crue, limite pornographique, Catherine Ringer n’hesite a haleter et a hurler « Accelere, accelere… decelere ! » dans un incroyable concert diffuse dans M6 en 1996. « C’est une des choses que l’existence propose, et qui vaut ma chance. L’affaire reste close, un coup qu’on ose, on y prend gout », feule t-elle i propos des guitares funk d’la Taille du bambou.
En 2007, on se souvient i nouveau de Caresse-moi, j’adore ca, moins pour l’interpretation d’Helene Noguerra que concernant le texte, signe certes d’un homme, mais pas n’importe lequel : l’un des meilleurs auteurs de chansons du XXe siecle, Serge Rezvani (« Seul le present nous lie, instant sans avenir, tant que nos corps se plaisent et nos c?urs se taisent »).
Une chose reste sure : qu’elles rient du sexe ou qu’elles verbalisent le bonheur qu’elles y trouvent, qu’elles signent leurs documents ou s’emparent de ceux qu’on un propose, des chanteuses contribuent a l’emancipation des femmes. En changeant les representations, nos ?uvres d’art, ainsi, les chansons populaires en particulier, aident a Realiser evoluer les normes sociales… et perso.